Je suis dans une position inconfortable : super motivé par cette course, mais en même temps l’incertitude me pèse et m’empêche de me lancer pleinement dans l’aventure.
Tant que je n’ai pas reçu une réponse positive de mon entreprise pour financer 50% de mon dossard solidaire, il m’est impossible de me projeter complètement et de m’engager physiquement à 100%.
Finalement, je me dis qu’il me faut profiter de cette phase de calme (avant la tempête) pour « lever le nez du guidon », prendre le temps de planifier ma préparation et réfléchir à ce qui devrait me permettre d’aller au bout.
C’est aussi le moment d’aller chercher un peu d’inspiration en regardant ce qui se fait ailleurs, d’enrichir sa pratique.
Je commence ainsi la 2nde saison du MOOC sur l’ultra trail proposé par l’université Paul Sabatier. Je passe certaines soirées à regarder sur You Tube des films sur le Tor des géants et je lis tous les comptes rendus de course que je peux trouver.
Enfin, sur ma table de chevet trônent fièrement 2 livres : un sur « comment optimiser sa foulée » et un autre sur « autohypnose et performance sportive ».
Un moyen aussi d’occuper mon esprit.
Et puis une course ça se prépare et ça se court avec finalement beaucoup de planification, de rigueur (respecter le plan de marche) et d’écoute. Par « écoute », j’entends une sorte d’« auto feed-back ». Ressentir les alertes émises par le corps et ajuster l’entraînement en conséquence.
Être à l’écoute de son corps, sans pour autant s’écouter. C’est ce qui est compliqué car en même temps, il est impératif de soumettre son corps à une certaine charge de travail pour le préparer.
Tout est dans le dosage, plus ou moins subtil.
Rigueur, régularité, progressivité … et, de temps en temps, titiller ses limites, jouer avec et aller au-delà de la fatigue … affûter son corps, « aiguiser sa lame », préparer son esprit pour être plus fort quand les difficultés se présenteront les jours de l’épreuve.
Faire cela c’est indéniablement se doter d’une grande confiance en soi : confiance en son plan d’entrainement, confiance en sa capacité à aller au-delà quand nécessaire.
Au moment de programmer ma saison, 4 choses me semblent donc primordiales :
Reconduire les plans d’entrainements qui ont fait leur preuve, tout en essayant de trouver des solutions aux difficultés rencontrées sur mes 2 derniers ultras.
Ne pas se prendre pour un pur-sang, quand on est un pottok.
Préparer un programme qui te permette d’être au maximum de ta forme le jour du départ et non 1 mois avant.
Ne pas basculer dans le surentraînement et respecter la sacro sainte règle de progressivité.
Je reprends donc exactement le même planning d’entraînement que pour mes 2 derniers ultras.
Je me fixe 4 courses préparatoires : le trail blanc du Sancy (32 km dans la neige) mi-janvier, le « Madeira Island Ultra Trail (115 km avec 7500 m de D+) fin avril, idéalement un 80 km à programmer fin juin-début juillet et puis pacer de ma femme sur la Pica Pica (les 40 derniers km avec 4000 m de D+).
Tout ça accompagné de 3 semaines à la montagne en août avec environ 100 km par semaine: Pyrénées orientales (Albères et Capcir) et Ariège (Auzat et ses pics à 3000 m).
Je sais que pour les 2 premières courses, je serai loin de mon pic de forme, voire même pas prêt, mais ça me mettra dans une zone d’inconfort, me forcera à puiser dans mes réserves et puis cela me donnera le fameux coup de pied dans les fesses qui m’a toujours été salvateur.
Piqué dans mon orgueil avant d’entamer la seconde partie du plan.
Si je veux épargner un peu plus mes genoux, il me faudra aussi perdre du poids … sans pour autant trop frustrer le bon vivant que je suis.
Je décide donc de bien profiter des fêtes de fin d’année, ce qui devrait m’amener tranquillement à 82 kg (pour 1m78). Je commencerais l’année en faisant plus attention pour être à 77 kg pour le MIUT et 74 kg pour le Tor des Géants. A partir de juillet, je diminuerai de façon drastique tous les sucres rapides.
Et pendant la course, il me faudra rester toujours dans ma zone de confort, ne pas m’emballer, ne pas me « croire plus beau que je ne suis » sous prétexte d’être affûté. Ne pas être dans la surestime de soi et le payer très cher en seconde partie de course.
Respecter, sur la première partie, mes temps de passage, ma gestion du sommeil (2 heures de pause aux bases de vie avec 1h30 de sommeil). Et puis sur la seconde partie, que j’espère la moins longue possible, faire ce que je peux.
Après, il me faudra être vigilent aux aspects suivants qui m’ont posé des soucis lors de certaines courses :
- Mes pieds : les crémer, changer régulièrement de chaussettes, une ou deux fois de chaussures.
Soigner aussi mes ampoules avec méthode, en utilisant les bons produits.
J’avais fini, il y a quelques années, l’ultra du Grand Raid des Pyrénées (160 km) avec des pieds très, très abimés … heureusement qu’une podologue m’avait prodigué les bons soins au km 120.
- Mon genou gauche : sur 2 courses, le ménisque avait commencé à me faire très mal, voire « super trop beaucoup » mal (les articulations pinçaient sur la corne du ménisque).
A la Réunion, un strapping m’avait permis de ne plus ressentir de douleur. Il faudra donc que je me visionne des tutos et que je m’entraîne à faire des straps « au cas où ».
- La gestion du sommeil : la troisième nuit à la Réunion et la fin de la deuxième nuit à l’UTMB ont été compliquées. J’ai subi et ai dû me poser n’importe où quelques minutes car je dormais debout …
Au GRP, j’avais eu pas mal d’hallucinations lors de la seconde nuit. J’avais pourtant essayé de dormir à une base de vie, mais impossible ! Malgré la fatigue, l’excitation physique m’en empêchait.
Au Tor, je vais probablement partir sur 5 à 6 nuits … C’est donc la grande inconnue. Je compte sur l’autohypnose pour me conditionner à m’endormir lors de mes passages dans les bases de vie.
A priori, pas de soucis, jusqu’à maintenant sur l’alimentation. Après, il faudra que le physique suive … et surtout le mental.
Ah le mental … Celui qui te permet d’avancer quand rien ne va. Celui qui te permet de continuer alors chaque mouvement n’est que douleur. Pourtant, dans des états un peu seconds, il est possible de focaliser son esprit ailleurs que sur la douleur, se concentrer sur ses pas, sur le moment présent, sur son rapport avec la nature. Certains disent « débrancher le cerveau ».
C’est ce qui m’est arrivé au Grand Raid des Pyrénées. Alors que chaque pas était devenu un supplice, Christophe, mon acolyte dans cette course, m’a dit « n’y pense pas, c’est dans la tête que ça se passe » … et je l’ai écouté, je n’ai quasiment plus rien ressenti pendant les 40 derniers km, jusqu’à l’arrivée où une fois la ligne franchie je n’arrivais quasiment plus à marcher.
Pour ne pas se démoraliser face aux difficultés, il me paraît aussi nécessaire de ne jamais penser à l’épreuve dans son intégralité. Sur des 160 km, il m’est arrivé d’être mal au bout de 30 ou 40 km. Se dire qu’on a fait qu’1/4 de la course est alors très compliqué à gérer. Nous pouvons facilement tomber dans le découragement.
Comme beaucoup d’autres, je ne me projette que sur la prochaine cible à court terme : passer le prochain col, arriver au prochain ravitaillement. C’est tout.
Et en même temps, pour me motiver, je pense à mon arrivée. Je me visualise en train de franchir la ligne d’arrivée et je ressens, en avance de phase, toutes les émotions positives liées à cette arrivée.
Dans les moments durs, je répète aussi mon mantra (« force et honneur l’indestructible »), tout en me tapant du poing sur le cœur.
Tout en modestie, mais ça a toujours plutôt pas mal fonctionné.
Après, il faut aussi relativiser. Cette aventure, ce n’est que du bonheur. C’est une énorme chance de pouvoir disputer ce type d’épreuve.
Si jamais, j’échoue dans cette aventure, il me faudra rester indulgent avec moi-même.
L’extrême difficulté de cette épreuve doit juste être une énorme source de motivation. Cela doit donner simplement envie de se dépasser sans avoir peur de l’échec.
Il est important pour moi de savoir que l’échec est possible. Ne pas nier cette éventualité pour mieux la prévenir.
Mais surtout je sais, et j’en suis persuadé, que je peux y arriver, qu’il y a un coup à jouer : « hold-up » à Courmayeur en septembre 2020 dans la vallée d’Aoste ?
Bref, je resterai positif et confiant, sans pour autant occulter les grandes difficultés à venir.
Et pour finir, en tant que judoka, je reprendrai un édito de David Douillet que j’ai lu il y a quelques années dans l’ « Esprit du Judo » :
« La compétition, c’est avant tout un état d’esprit. Il faut aimer se frotter à sa propre limite. Il faut aimer prendre le risque. Celui de se faire mal, celui de se faire peur, celui de craquer, celui de sortir de son confort, de ses certitudes, celui d’aller dans l’imprévisible, là où il n’y a pas de mots, où personne n’ira pour toi et où personne ne pourra te dire ce qu’il y a à faire. Le coach t’abandonne à la lisière de cela. Lui, il te donne des conseils, il te dit ce qui est raisonnable. Après, c’est une aventure, une invention permanente, où tes sens, ton mental, ton intuition entrent en jeu avec le reste. Tu deviens un pionnier, le pionnier de toi-même. »
Et moi, j’aime bien cette idée de devenir le pionnier de moi-même.
A voir maintenant comment toute cette théorie va se mettre en pratique …
Il est urgent désormais de chausser ses running et de préparer corps et esprit.
La route est encore longue !
Mardi 10 décembre, mon téléphone sonne. Mon entreprise m’informe qu’elle me suit dans ce projet.
Content à l’annonce de cette bonne nouvelle mais pas de joie démesurée.
Conscient de tout ce qu’il reste à faire pour être prêt. Le parcours du combattant ne fait que commencer.
Bon, bah maintenant, YAPLUKA !
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