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stephanepoiroux

La Suisse, ça pique !

Retour sur la SwissPeak 360 : demi succès, demi échec ....



Pas facile de faire un compte rendu de cette course en ayant le recul nécessaire pour ne pas tomber dans l’auto-flagellation ou dans l’autosatisfaction.

Dimanche 29 août 2021, avec Cécile et Vanessa, nous avons pris le départ de la Swisspeak 360 : 364 km, 26 500 de D+, 27 600 de D- … à parcourir en moins de 156 heures. De belles mensurations qui font peur. Seule Vanessa a réussi à boucler la « bête » !

Qu’est ce qui fait que l’on devient finisher là où d’autres échouent (qu’ils soient hors délais (Cécile) ou qu’ils abandonnent (moi)) ? Quels réglages faire pour que cela passe la prochaine fois ?


Alors oui, j’ai passé un sacré cap sur cette course puisqu’avec 235 km parcourus, 18 000 de D+, 17 000 de D-, en un peu moins de 100 heures, l’UTMB et la Diagonale des fous paraissent comme de « petites » courses… Même l’ultra tour 220 km du GRP (224 km, 12 600 de D+, 12 600 de D-) a des mensurations moins généreuses… Autosatisfaction.

Mon objectif était de finir…j’ai abandonné. L’abandon c’est le pire, même pas « las coucougnetas » de pousser jusqu’au bout pour se faire éliminer par la course et non par soi-même. Je suis un looser et non un finisher … Auto flagellation.

Entre les 2 mon cœur balance …


Que m’a t’il manqué ? A la fois pas grand-chose et en même temps tellement.

Avec toutes ces contradictions, ce compte rendu est mal barré.

Je resterai sur une position que j’ai depuis je suis adolescent : échouer n’est pas grave à partir du moment où on s’est donné tous les moyens pour réussir. C’est ça pour moi la vraie question. Et je ne crois pas avoir triché avec moi-même. C’est ça l’essentiel.

Ouf, je vais pouvoir, quand même, me regarder dans la glace, même si le bonhomme n’est pas beau à voir : 73.4 kg … 3 kg perdus sur la seule épreuve qui viennent s’ajouter au 4 kg perdus lors de mes 3 semaines d’entrainement début août et aux 7 autres kg perdus depuis le début d’année … et oui, le 2 janvier de cette année, je pesais 87.4 kg.

Donc, ce qui est important c’est de retirer ce qui a fonctionné, ce qui a moins fonctionné pour pouvoir revenir plus fort sur ce type d’épreuve.


La Swisspeak 360 c’est avant tout une aventure incroyable pendant laquelle les corps et les cœurs sont soumis à rude épreuve, dans un cadre grandiose, sur des chemins (très) techniques avec des nuits (très) froides … les jours et les nuits se cumulent et il faut que ton corps et ton cœur gèrent tout ça …

Toutes ces émotions exacerbées, cet ascenseur émotionnel permanent (je n’ai jamais autant pleuré sur une course, de bonheur puis de tristesse),

Toutes ces douleurs qui viennent et qui disparaissent … ou qui s’accentuent,

Une course à la fois collective (tu dépends des bénévoles, de tes accompagnateurs et quelque fois un peu aussi des autres coureurs qui vont t’aider) mais qui reste forcément individuel : c’est à toi à trouver le bon rythme du moment, celui qui te permettra d’aller suffisamment vite mais pas trop en tenant compte de la forme du moment (qui ne sera pas la même que celle de « dans une heure ») … en tenant compte des heures aussi ou tu as plus de mal (le calvaire pour ma part du « 3h à 6 h du matin »).

La solution, elle vient de toi. A toi de venir préparé, pas trop fatigué, de te gérer, d’aller très au-delà de ce que tu as l’habitude de faire.


Mon entrainement préparatoire s’est reposé sur 3 moments importants cet été.

L’entraînement spécifique et la transposition dans cette course ont vraiment commencé lors de notre WE choc à Cauteret avec Cécile, Aurore et Damien. C’était mi-juin et cela m’a permis de voir où j’en étais… et j’ai trouvé que cela allait. Ce WE m’a conforté dans mon plan de marche jusqu’à la Swisspeak. Pour les amateurs de chiffres, ce WE choc a consisté à l’ascension du Cabaleros vendredi après midi (20 km), 36 km le samedi et 10 km le dimanche matin, soit à la louche 66 km, rien de très excessif non plus.

La deuxième étape a été le challenge 2x40k du Luchon Aneto Trail : 42 km & 2600 D+/D-, le samedi avec le 40 ôo Pyrénées, et 45 km & 2800 de D+/D-, le dimanche avec La Vénasque. Ces courses m’ont permis de valider une bonne forme physique (80kg), une bonne vitesse tout en m’alertant sur la nécessité d’avoir un rythme constant et de bannir toute « fulgurance », que tu paies comptant quelques heures plus tard…à l’instar de ce qui m’est arrivé le samedi. Monter à un rythme régulier, se lâcher en descente ou plutôt se relâcher sans s’emballer.

Puis, forcément nos 3 semaines de vacances, 100% rando ont fait le reste :

- 120 km sur les traces du GR10 (plus de 7000 de D+), de Banyuls à Vernet les Bains avec un sac de 19 km. Une super semaine avec Rémi et Cécile à bivouaquer

- Les 2 semaines ariégeoises traditionnelles à enchainer les rando hors normes…semaines finalisées par un Kilomètre vertical avec une vitesse ascensionnelle de 1000 m de D+/h… histoire de se remettre un peu en mode compétition, avec en plus toute une équipe de la Cours’Son Nature à suivre sur le marathon du Montcalm et sur la très difficile PicAriège (70 km, 7000 de D+/D-) que Cécile et Damien termineront avec panache (un peu plus de 15 K de D+ pour moi sur ces 2 semaines ?)

Tout ça me permet de revenir à la maison, l’esprit boosté par cette ambiance trailo-montagnarde mais (trop ?) fatigué.

Plus que 2 semaines…Aller voir l’osthéo pour remettre le bonhomme dans l’axe…et faire du jus.

Le WE avant l’épreuve est dédié, pour Cécile et moi, à la constitution de nos sacs : prendre nos tee-shirts fétiches, les bonnes chaussettes et je vous passe les détails.

Vendredi 27, nous partons de bon matin direction Nantes où nous retrouverons Vanessa, Nadia (sa compagne) et Anae (leur petite fille). Nous y laisserons notre voiture pour tous embarquer dans leur super van avec un première nuit dans les Vosges et une deuxième à Oberwald, lieu de départ de la course. Et nous constaterons que les nuits y sont extrêmement fraiches.

Nous retrouverons aussi, le samedi à Oberwald, Yoan et Marie Christine (respectivement le frère et la mère de Vanessa) qui constitueront, avec Anaé et Nadia notre équipe choc de suiveurs…un grand merci à elles pour leur présence, leur soutien et leur efficacité.

Nous récupérons l’après-midi notre dossard et le sac suiveur (un sac que l’on retrouvera dans les 6 bases de vie tout au long de l’épreuve). Un bénévole chargé de scotcher ma balise GPS sur mon sac me scotche aussi en me demandant si je suis entraîné. Je lui réponds par une question « pourquoi, il y a des gens qui viennent sans entrainement ? » Apparemment oui.

Il me dit : « la règle pour ces épreuves, c’est les 2 premiers jours en sous-régime, tranquille, pour laisser le temps à votre corps de prendre le rythme tout en l’économisant. Ne vous souciez pas des barrières horaires ».

C’est que moi je les ai regardées les barrières horaires. Celle du 30eme km équivaut à un marathon en 9 heures (ca normalement c’est bon…j’y passerai d’ailleurs sur des bases d’un marathon en 7h23). Celle du KM 156 (12 K de D+ et 12 K de D-) est à 57h30 de course, sur un terrain technique …. J’avais mis 58h à la réunion avec 2K de D+ et 2K de D- en moins…il ne faudra pas chômer, surtout qu’il faudra un matelas « horaire » pour pouvoir manger et se reposer … finalement j’y passerai en 52h30.

Le samedi soir est marqué par un gros orage (histoire de se mettre mentalement dans la course). Nous sommes dans un camping mais c’est un peu galère pour manger et préparer son sac de course et son sac suiveur.

Le lendemain, au petit déjeuner, nous rencontrons un « sénateur » (il n’en reste que 6). Un sénateur ce n’est pas un vieux politicien dont on ne sait pas trop à quoi il sert, mis à part ponctionner du fric sur nos impôts. Dans le monde de l’ultra ultra trail, c’est un coureur qui a terminé toutes les épreuves du Tor des Géants (soit 9). Le mec a environ 55 ans et va enchainer Swisspeak / Tor des Géants. Un autre monde. Lui aussi nous dit de partir doucement.


Dimanche 29 août, il est bientôt midi. Nous avons de la chance. Nous échappons à la pluie qui nous était pourtant promise.

Luca Papi est là, tranquille avec un pote. Il se met au fond du SAS pas loin de nous. Je courrai les 30 premiers km à quelques mètres de lui … Il accélérera ensuite progressivement pour finir 5eme de l’épreuve…mais, au début, lui aussi est en mode « tranquille ». Il s’arrête même pour manger des myrtilles et autres framboises dès qu’il en voit.

Ca y est le départ est donné. Avec Vanessa et Cécile, nous ne savons pas trop à quelle sauce nous allons être mangés. C’est un peu inconscients que nous prenons ce départ. Confiant, mais ça paraît tellement énorme. Rapidement, je me mets dans ma bulle et essaie de trouver un rythme que je pense être le bon, sans me préoccuper de mes 2 compères. Nous verrons bien ce que l’avenir nous réservera.


Mes sensations sont forcément bonnes. J’essaie de ne pas m’emballer notamment en descente. Je passe la première barrière horaire au km 28 (1700 de D+ et 1700 de D-) avec pas mal d’avance (5h15 vs 6h15)…et je me dis que qu’heureusement qu’ils l’ont décalée car initialement elle était à 5h30, ce qui était du grand n’importe quoi. Je croise les doigts pour que Cécile passe. Elle passera largement en 5h42. Je vois pour la première fois Marie Christine (la mère de Vanessa) qui sera mon accompagnatrice attitrée. Elle est super heureuse d’être là et de partager cette épreuve hors norme avec nous. Tout comme nous elle vivra une semaine de dingue, chargée d’émotion (je ne suis pas en train de vous vendre le rôle d’accompagnateurs pour une prochaine fois, mais si quand même un peu 😊 ).

Moi je suis dans ma bulle, donc je ne parle pas trop et suis sûrement un peu sec avec elle. Je ne m’attarde pas au ravito.

Après 2 premières montées (700 m et 1000 m) c’est après ce ravitaillement où nous commençons la première « vraie » montée : 1400 m de D+ pour accéder au Chummerhorn qui culmine à 2754 m. J’ai le souvenir d’une montée agréable dans un environnement alpin. Je suis bien. Avec la fin du jour qui tombe le froid commence à être de plus en plus prégnant surtout que nous sommes sur une arrête en plein vent. Je décide donc de mettre mes habits du soir. Pas de smoking-nœuds papes, mais plutôt : collant de course, tee shirt thermique manche longue, gants, veste imperméable, bonnet, Buff « Cours’Son Nature » et frontale (comme ça je ne galèrerai pas pour la trouver quand il fera nuit).

Alors que le jour s’éteint tranquillement (nous sommes en suisse, « il n’y a pas le feu au lac »), j’ai la présence d’esprit de tester ma frontale … et elle ne marche pas…qu’elle bonne idée… Du coup, sans avoir commencé à l’utiliser, je remplace déjà la batterie par celle que Damien m’a prêtée (et qui durera elle-même 3 ou 4 heures). Heureusement que sur ce type de course, il est obligatoire d’avoir 2 frontales avec, pour chacune, batteries ou pile de remplacement.


La course a été tellement longue que je ne suis pas sûr de me rappeler précisément de tout, mais il me semble que c’est, dès ce sommet qu’il y a un passage avec une corde pour descendre et un mec de l’organisation pour surveiller (si ce n’est pas là, c’est au prochain !). Ca sera d’ailleurs la seule fois où nous verrons un mec de l’organisation au sommet où à des passages délicats. Quand tu penses qu’à la PicaPica, il y en a systématiquement 1 ou 2 … C’est un peu moyen niveau sécurité quand même.

Là s’ensuit une longue descente (1700 de D-), d’abord dans la « panthère beuse » avec des pauses de pied pas toujours plates et un ou 2 passages au milieu des vaches. Au bout de 1000 de D-, premier ravitaillement sympathique avec raclette. C’est super agréable de se poser 15’ et manger une petite assiette. C’est qu’il commence à faire faim … ce sera le début d’un enchaînement de ravitos vraiment sympa où (sur les principaux ravitos) l’équipe en charge se démène pour te proposer quelque chose de sympa, de chaleureux, de reboostant.

700 m de D- plus bas, je retrouve MC (pour Marie Christine) à la première base de vie (Fiesch, KM50, 3400 de D+, 3700 de D-) après 11h36 de course. J’y passerai, je crois, environ 1h30 avant Vaness’ & Cécile, et 4 heures avant la barrière horaire. J’y resterai je ne sais plus trop combien de temps, mais pas trop. 55’ (merci Christophe pour mes temps intermédiaires). Du coup, je ne croiserai pas les filles…juste le temps de trouver mes marques et mes affaires dans mon sac de suivi, me changer, ausculter mes pieds qui vont bien et les re-noker, manger et faire le plein d’eau. C’est une espèce de grand self sans âme….

C’est là où je décide (ne jamais faire ça) de mettre des nouvelles chaussettes que je viens d’acheter et que je n’ai jamais testées. Des Compressport…des chaussettes de merde trop fines !

C’est reparti (00h36) pour 1900 de D+ jusqu’au Saflichpass (2561 m). J’ai le souvenir d’une longue montée avec des passages très pentus, pas faciles. Je suis exténué et ai déjà, alors que ce n’est que la première nuit, des gros problèmes de sommeil.

Je suis arrivé sur la course pas assez reposé ! Je me pose 5 ou 6 fois sur le côté pour faire des « micro-micro » sommeils (moins de 5’) avant que le froid et les tremblements associés me réveillent. C’est une horreur. Ca sera le début de moments où j’aurai des hallucinations (ca sera ça sur chaque nuit alors je le dis une fois pour toute 😊) Rien de grave mais un peu fatigant pour le cerveau : des rochers ou des arbres à formes humaines : on croit voir des gens et en fait ce sont des arbres…ou les pierres sur le sol qui ont des visages qui te regardent.

Je passe le sommet un peu avant 6 heures et je commence la descente (qui est sur cette partie sur un chemin assez large) en mode zombie : je dors en marchant...ou marche en dormant , comme vous voulez. Je fais les 2 en même temps quoi ! L’attente du lever du jour et de l’arrivée du soleil est un supplice interminable mais je m’accroche.

Ouf, le soleil se pointe et c’est reparti. Je me dis que les 5 prochaines nuits vont être sympas (en fait je n’en passerai « que » 3 autres qui seront paradoxalement plus faciles sur la gestion du sommeil).

Sur la descente, je me lâche un peu et sens que j’ai déjà une ampoule à l’orteil du pied droit. Tout de suite je m’arrête pour la soigner. Compeed et élasto … j’en fais ma petite affaire. Les petits ciseaux que j’ai achetés à la COOP de Courçon sont pourris, ils se tordent en coupant l’élasto. Mais bon, je me fais un soin qui finalement sera mieux que celui que me fera le podologue à la prochaine base de vie et qui me ruinera l’orteil d’à côté a cause de frottement sur la bande censée me soigner.

Au km71 alors que nous sommes encore en pleine montagne (à 2130 m d’altitude) avec un petit ravito, j’ai la surprise de voir MC qui s’est débrouillée pour monter. J’y serai vers 7h du matin et y resterai une 15aine de minutes mais c’est sympa de la voir.

La Swispeak c’est des « hauts et des bas », un peu près sur tout (douleur, fatigue,…) mais principalement quand même en dénivelé, les longues descentes et les longues montées s’enchaînent sur peu de km. Donc là, je me prends 1600 de D-, puis 1600 de D+…sur moins de 14 km. C’est souvent très raide, avec des passages qui ressemblent à des KV. Avant d’arriver au ravito de Lengritz (2434 m d’altitude, 82 km de course, 6700 D+, 5600 D-), je marche au ralenti c’est très dur. J’enrage : je me dis « merde, comment est-ce possible d’aller si doucement…si tôt dans la course ». Mais je regarde autour de moi, tout le monde est à la même enseigne, même les futurs finisseurs. C’est juste très dur, car très pentu et technique …et il faut juste encaisser les enchainements de longues descentes et de longues montées…C’est interminable mais ça le fait. Je me pose à Leingritz. Pas envie de dormir, pourtant cela me ferait du bien.

Jusqu’à la base de vie d’Eisten (104 km, 7600 de D+, 7800 de D-) je n’ai pas de souvenir particulier. C’est que cela doit aller et que j’aborde le début de seconde nuit sans être fatigué. J’y arrive au bout de 30h42 de course, soit 9h avant la barrière, vers 18h43. Je me douche, me fais soigner les pieds, me pose sur un matelas 45’ et arrive à dormir 30’… J’y reste 2h26 et croise Vanessa qui arrive au moment où je décide de partir. Elle a l’air bien. On échange rapidement. Elle part se doucher puis se coucher.

Je dis à MC que la prochaine barrière horaire à la 3eme base de vie est assez chaude (57h30 pour 154 km et 12k de D+ et 12 K de D-), qu’elle le dise à Cécile pour qu’elle ne passe pas trop de temps à cette base de vie suivant son heure d’arrivée (a priori elle est 5 heures derrière moi), sinon elle n’aura pas assez de temps.

Moi je trace. Il est 21h10. Et ça commence par une « pente de chez pente », qui n’a rien à envier au KV du Montcalm (1150 m de D+ sur 4.5 km avec un petit plat au milieu). Les sadiques ! Je suis bien sur la première partie, puis s’enchaine une partie « plate » mais aérienne (avec des passages ou il vaut mieux éviter de glisser) où il faut faire attention et enfin une partie pentue dans la forêt où là je commence à m’endormir et dois me pauser 5’ sur le côté dans cette montée qui n’en finit plus…Le froid me réveille. Content d’arriver au sommet (Hannigalp 2136 m) … il doit être autour de minuit …

Là je poursuis par une descente (1400 m de D-) qui rejoint rapidement une piste. Je m’y fais doubler par quelques personnes qui courent …du coup je fais l’effort de courir aussi, ce qui m’empêche de m’endormir.

J’arrive avec une grosse envie de dormir au prochain ravito qui se trouve à mi distance. C’est une auberge avec une ambiance d’apocalypse…il y a une 15 aine de coureurs avec la moitié qui dort ou essaie de dormir étendue par terre ou sous les tables. Je m’assois en face de la « polonaise » (je n’ai pas la mémoire des prénoms, alors je vais donner des surnoms) qui a fini dernière de la course l’année dernière et qui finira aussi cette année un peu après Vanessa. Il y a le couple de médecins aussi qui est là (ils m’ont doublé dans la montée). Ils essaient de dormir par terre (je prendrai leur place). Il y a aussi le « varois musclé ». Ces 3 là finiront la course juste avant Vanessa.

Ils proposent une superbe tarte qui est un délice. Je mange, puis essaie de dormir « par terre » … je reste 20 à 30’ allongé sans pouvoir dormir alors que quand j’étais dehors j’avais du mal à rester éveillé. Quelle merde ! J’insiste un peu mais rien n’y fait. Du coup je repars…encore 700 m de D- avant de reprendre une montée de 2000 m de D+ … « et ça continue encore et encore, ce n’est que le début d’accord, d’accord ».

La descente est interminable mais j’arrive enfin au début de la montée…il doit être entre 2 et 3 heures du matin. C’est, pour moi, les heures qui ne m’arrangent pas pour une montée…c’est le pire : une montée sur le créneau de 3 heures à 6 heures du matin, un cauchemar. Heureusement, nous sommes 3 ou 4 avec la « gazelle suisse ». Je me mets derrière elle et entame la discussion…elle m’explique des trucs sur la Suisse. Elle a fait le 170 km l’année dernière et là elle a décidé de passer à la distance supérieure (elle finira elle aussi la course, mais « loin » devant Vaness’). Elle monte à un bon rythme…puis à un moment, peut être lassée de nos discussions, elle change de braquets…et là je laisse filer… Je fais une partie tout seul, puis m’arrête pour me faire une « pompotte » et me poser quelques minutes… un groupe me double puis Will arrive et me dis « dur de rester éveillé ? ».

Du coup je repars avec lui et discute effectivement de mes problèmes d’endormissement. Il me dit qu’on lui a conseillé d’éviter de manger du « sucré » la nuit pour palier à ce problème. Ca fait du bien de discuter. Will a fait la Swisspeak 360 l’année dernière et l’a terminé. Il m’explique que le prochain ravito n’est pas super loin car nous avons bien monté. On se raconte un peu nos vies. Le gars connait bien Erik Clavery qui l’a coaché « à distance » pendant une année. C’est un « costaud », un « client » qui est moins entraîné cette année du fait de la naissance d’un garçon il y a 2 mois. Il est parti tranquille pour cette édition et s’est retrouvé antépénultième. Ca l’a un peu stressé du coup, il rattrape depuis la fin de la première nuit en bourrinant dans les descentes.

Nous arrivons ensemble à Jungu à un ravito dehors ou quelques mecs essaient de dormir sur des chaises … Le ravito se trouve au 123eme km à 1978 m d’altitude. Il doit être entre 4h et 5h du matin. Du coup je me dis qu’il faut mieux que je passe un peu plus de temps au ravito car j’en passerai moins sur les chemins dans la fenêtre de 3 à 6 h du matin, celle que je déteste. Je bois et mange (ravito classique), et puis je m’assois et squatte 2 couvertures (une pour le haut et une pour le bas). Dès que je me réveille, je commence à avoir froid. Je ne traine pas. Je dis à Will que j’y vais car j’ai froid. Je commence à grelotter. Du coup je fais plein de mouvement, trottine sur place le temps que Will soit près, puis accentue l’amplitude de mes mouvements dans la montée pour me réchauffer et que les tremblements cessent.

Will me dit qu’un gros chantier se présente à nous avec l’ascension du Augstbordpass (2892 m), avec notamment un bon vieux pierrier, avec de bons gros rocher, qui précède le sommet. Effectivement, c’est un peu long, mais le soleil arrive quand nous attaquons le pierrier. C’est mieux pour sauter de bloc en bloc. J’adore ça normalement mais là avec la fatigue l’équilibre est parfois précaire. Nous sommes avec un troisième larron mais j’ai oublié qui s’était.

Nous nous rapprochons doucement de la dernière montée assez raide. Will s’arrête d’un coup et me dit « je ne vais pas pouvoir continuer, il faut que je m’arrête quelques secondes ». Moi je vois le sommet qui me tend les bras et avec mon autre compère je continue. Moins de 5’ plus tard, une espèce d’énorme fatigue s’empare de moi. Impossible de continuer. Je me mets sur le côté et m’assois. Je mange une Pompotte. Rien n’y fait. Will arrive et me dit « ha toi aussi tu as un coup de mou ». Je lui dis « oui » et m’écroule sur le flanc.

Quelques minutes plus tard je me réveille en sursaut. Je ne sais pas trop combien de temps s’est écoulé. Je repars, sans voir que Will est couché près de moi. Les dernières centaines de mètres sont compliquées. Je marche au ralenti. Mais je sais que j’ai du temps par rapport à la barrière et qu’après ça sera plus facile pour atteindre la troisième base de vie ou là je serai ensuite en « terra incognita » (au-delà du 100 miles) et c’est pour cela que je me suis inscrit sur cette course (voir ce qu’il y a après). En cette fin de montée je retrouve le « varois musclé » qui est aussi à la peine. Nous faisons « corps ». A un moment il s’arrête et me laisse passer. Je donne le rythme (au ralenti) : chaque pas est marqué d’une grande respiration profonde. On ne lâche pas l’affaire et enfin nous franchissons le sommet.

Arrivé en haut c’est hyper beau. J’ai l’impression d’avoir réchappé d’un truc super dur. Une descente de 1000 de D- s’offre à moi. Je me lâche un peu dans la descente et aussi mentalement. Je me vois rapporter la veste de finisher à la Cours’Son Nature, je me visualise franchir l’arche d’arrivée au bord du lac. Je craque complètement et me met à pleurer pendant de longues dizaines de minutes. Je suis euphorique. Je croise des randonneurs qui montent et qui me félicitent. Je les remercie avec un trémolo dans la voie et les joues humides.

Sur la fin de la descente, je croise les 2 organisateurs en chef de la course (ceux qu’on voit dans les films). Ils me disent « tu vas au bout hein ! » et je les remercie pour ce qu’ils nous font vivre.

Je n’ai aucun souvenir de la montée de 1000 m de D+ qui suit la descente. Je sais juste que ça redescend après (forcément) et que c’est un peu long pour arriver au ravito de Tsahélet (2526 m, 146 km, 11 600 de D+, 10 500 de D-). Je discute avec un belge que j’ai croisé à plusieurs reprises. Une espace d’armoire à glace d’1m90, avec une grosse puissance musculaire. Il est en colère contre l’organisation. Il me dit que c’est la troisième fois de suite qu’il fait la course et que chaque année c’est de plus en plus dur. « c’est n’importe quoi tu as vu les chemins qu’ils nous font prendre cette année, c’est n’importe quoi, c’est quoi cette surenchère permanente ». Il a fini le Tor des géants à son unique participation mais pas encore la Swisspeak. Et ce ne sera pas cette année car il m’annonce qu’il va abandonner… il en a plein les pattes. Il s’arrêtera à Tsahélet ou je retrouverai l’équipe de suiveurs au grand complet. C’est sympa. Ils m’informent que j’ai toujours 2 heures d’écart avec Vaness’ et 5 heures avec Cécile. C’est stable. J’essaierai d’y boire une bière mais la deuxième gorgée ne passera pas et je la laisserai à Nadia. Je ne m’éternise pas. Une longue descente (1200 m de D-) m’attend pour arriver à la 3eme base de vie…celle pour laquelle j’avais peur de ne pas arriver dans les temps.

Je commence à m’apercevoir que dans les descentes je me fais « plutôt doubler » ce qui m’énerve car normalement c’est plutôt ma force mais j’ai mal aux pieds (ampoules) et je ne veux pas forcer sur eux…mais ça m’énerve (ce qui me vaudra plus tard a priori le surnom de « Rochonchon »). Will me double comme un malade : il sprinte carrément dans la descente …ainsi que le « directeur financier » (un mec sympa très poli avec beaucoup de prestance, je me dis qu’il doit être directeur financier (DF), je ne sais pas pourquoi mais c’est comme ça…en tout cas il finira la course). Les 2 sont bien fluides sur leurs appuis, ils vont vite et on voit qu’ils ne forcent pas. Bravo.

Je retrouve Will et le DF à un petit ravito (Ayer). Je ne m’éternise pas et dis à Will : vu comment tu descends, tu vas me rattraper rapidement. Je pars en trottinant et ça c’est bon. Tout d’un coup j’entend Will qui hurle car j’ai loupé le chemin en continuant sur la piste…Merci Will car là j’étais parti et sur la mauvaise route …

Will ne me rattrapera jamais… à un moment ou je me remets à marcher, le DF me passe en me laissant sur place. Du coup je me remets à trottiner mais on ne peut pas dire que cela soit fluide. Comme toujours la descente est interminable. Comme toujours nous traversons des villages perchés, avec des chalets en bois et des vues magnifiques. Comme toujours on se prend même à moyenne altitude des espèces de « pas chemin » direct dans le pentu, où tu es obligé de te retenir et qui te cassent les pieds et les cuisses. Ca y est on voit le village, mais les derniers chemins sont pas « piqués des hannetons », créés rien que pour nous … quelle chance vraiment nous avons.

Alors que j’arrive au village, un mec me félicite. Il fait quelques pas avec moi. Il a fait l’année dernière le 170 km. Là il est juste là en touriste. Je lui explique mes difficultés pour m’endormir dans des lieux appropriés alors que, pourtant, je suis mort. Il me suggère de ne pas manger avant au ravito car, selon lui, l’enclenchement de la digestion peut t’empêcher de dormir. Dorénavant, j’irai dormir avant de manger et cela marchera plutôt bien.

Petit coup de moins bien au moral quand je me rends compte que le village n’est pas le village ou il y a la base de vie. Le chemin remonte du village dans la forêt puis après se perd dans cette forêt. Nous sommes loin de tout … C’est quoi ce bordel. Je mettrais facilement 1 heure supplémentaire pour enfin arriver à cette base.

Mardi 18h05, je rentre dans cette base de vie après 54 heures de course, 156 km, 12 K de D+ et 11,8 k de D-. La ratio km / dénivelé est énorme. C’est cette base que Cécile n’arrivera pas à rejoindre dans les temps impartis. Il faut y passer avant 21h30…57h30, c’est quand même « chaud lapin ». Je vais direct me laver, puis me coucher. Je suis rejoint dans ma chambre par le « parisien quinqua musclé » qui lui finira la course… pour la troisième fois de suite. Respect !

Je dors 1h30 et demande à MC de me réveiller. Je passe par le stand podologue afin qu’il répare les dégâts qu’ils ont causé avec leur pansement et les frottements qu’ils ont générés sur un de mes orteils…puis retrouve Vanessa qui mangent et qui est arrivée à la base de vie 1h20 après moins.

Je croise Will qui vient tout juste d’arriver. Incroyable il aura mis 3 heures de plus que moi pour faire 4 km. Il est dépité. Il ne comprend pas trop. Il n’arrivait plus à avancer. Sans doute aura-t-il trop puisé dans ses réserves en rattrapant du monde dans les descentes ? Le mec a pourtant fini la Swisspeak à sa première participation.

Avec Vanessa, nous mangeons tranquillement et repartons ensemble à 21h12 (18’ avant la fermeture de la base…d’où la nécessité d’y arriver tôt pour pouvoir s’y reposer).


Nous commençons une nième longue montée (près de 1400 m de D+) qui nous amènera au point le plus haut de la course : « la cabane des becs de bossons » à quasi 3000 m (2973 m). Cela sera aussi « un grand chantier » avec une fin d’ascension qui a été débalisée par un connard et re-balisée rapidement par l’organisation mais du coup on a du mal à voir les fanions…le point d’orque de cette ascension est sans aucun doute la traversée (après le perrier) d’un névé assez long dans la pente…bah il ne faut juste pas glisser finalement…ce n’est pas comme si on était fatigué.

Nous rentrons dans la fameuse cabane (qui est aussi un ravito) et là c’est un peu « Beyrouth ». C’est tout petit, il n’y a pas beaucoup de places et beaucoup de monde (beaucoup y resteront passer la nuit a priori). Pas mal de zombies complètement écroulés. Je vois que nous y arrivons à l’heure à laquelle est censé arriver le dernier. Je dis à Vaness’ qu’il ne faut pas y trainer mais elle me demande d’y passer une 30aine de minutes pour se reposer. Elle a raison cela nous fait du bien.

Nous voilà repartis dans une descente technique dans des petites pierres sans trop de balisage. Je passe devant. Je me sens hyper bien. Je peux aller vite et anticiper le chemin qui n’est pas souvent très claire. Vaness’ me passe sa frontale qui projette bien. Nous descendons vite et courrons dès que nous pouvons.

Nous arrivons au ravito d’Evolène 1600 m de dénivelé plus bas en reprenant 1h30 sur le temps du dernier. Nous retrouvons MC qui m’informe rapidement que Vaness’ est allée direct se coucher en se posant dans la « buanderie » de l’auberge qui nous accueille. Du coup, je trouve aussi une place à l’intérieur dans un lit pour me poser 30’.

Je crois que c’est à ce ravito que MC m’annonce que Cécile est hors délai. Même si je m’en doutais, vu nos écarts et mon temps de passage à la base de vie, je suis bien évidemment déçu mais très impressionné par ce qu’elle a fait. Après la PicAriège, 150 km sur des sentiers vraiment compliqués, avec du moins 10° degrés de ressenti la nuit au sommet et des ratio km/dénivellé très importants, c’est du très, très costaud. Dommage qu’elle soit souvent proches des barrières ce qui la met, parfois, en insécurité.

Nous repartons de ce ravito avec quasiment le lever du jour. La troisième nuit aura été épique mais finalement la plus simple à gérer pour moi. Je suis confiant pour la suite si l’état de mes ampoules reste stable et si mon genou gauche tient toujours dans la descente (j’ai commencé à ressentir des « petites pointes » au niveau du ménisque).

La grosse matinée du mercredi se passe simplement : une grosse montée de 1400 m de D+, suivi d’une descente. Avec Vaness’ nous sommes « en harmonie » au niveau rythme. Sur la descente, je joue un peu au yoyo : elle est devant, je lui laisse prendre de l’avance puis la rattrape. Ca me permet d’être un peu seul et de « discuter avec moi-même ». Et puis, je sais qu’au barrage de Grande Dixence, la prochaine base de vie, cela sera un moment très émouvant car nous y retrouverons Cécile, David et Sylvain. Alors je préfère jouer et rejouer les retrouvailles dans ma tête avant pour ne pas craquer complètement quand je vais les voir.

Pendant cette descente, nous jouerons « au chat et à la souris » avec les 3 italiens (qui seront aussi finishers). Ils nous doublent en descente, puis nous les redoublons car ils s’arrêtent pour fumer des clopes.

Nous arrivons au barrage à 14h05 (3h15 avant la barrière horaire) et effectivement je ressens un (très) gros pincement de cœur quand j’entend les félicitations de Cécile, Sylvain et David alors que nous montons vers le barrage. J’essaie de contrôler mes émotions et j’y arrive…Cécile voit bien (mais c’est une experte du bonhomme) que je suis émotionnellement en vrac.

196 km de parcourus, putain nous allons franchir le cap des 200 kil en montagne. 16 K de D+ et 14.7 k de D-, c’est monstrueux … et nous sommes encore pas mal.

C’est une sorte d’hôtel qui a été réquisitionné. C’est un peu le bazar pour comprendre à quelle étage sont les chambres et à quelle étage on peut se doucher (pour faire simple ce n’est pas aux mêmes étages) … mais nous y arrivons. Douche, puis 1h30 de repos dans une chambre avec Vaness’, soin des pieds, repas … Nous repartons de la base de vie à 16h41, soit 35’ avant la fermeture de la base.

Il nous attend maintenant ce que l’on nous a vendu comme le plus beau du parcours : « grand désert » et c’est vrai que ça va être beau, surtout que nous allons y vivre le coucher du soleil. 1000 m de D+ pour y rentrer par le col de Prafleuri (2985 m). Le début de l’ascension se fait sous l’œil de nos chers supporters qui sont montés en haut du barrage avec un téléphérique. C’est sympa, ça nous fait du bien de les sentir soudés derrière nous.

Je monte derrière Vaness’. Son rythme me va bien. Nous décidons de nous changer avant la dernière partie d’ascension vers le col. L’arrivée dans le grand désert est juste magnifique, magique. Des sommets incroyables, des glaciers, des lacs. Nous en prenant plein les yeux. Nous y voyons même une famille de bouquetins. Dans Grand désert nous devons passer de rocher en rocher pour nous frayer un passage mais c’est plutôt sympa. A la tombée de la nuit nous arrivons dans un ravito plutôt sympa : 2 tentes sont posées là en plein milieu de nulle part.

Je discute avec un des bénévoles du ravitaillement et lui demande si le chemin est bien celui qu’on voit descendre au loin pour plonger dans la vallée. Le mec se marre : « heu non, vous, vous allez passer par là". Pas vraiment de chemin. Une trace balisée dans les pierres pour arriver, 300 m plus haut, à une « entaille » dans la montagne, un petit col quoi ». Du coup je me marre et lui dis, presque en m’excusant : « bah oui, que suis-je bête, ce chemin- là, qui n’en est pas un, ressemble tellement plus à l’esprit SwissPeak ».

Mais finalement la montée, c’était plutôt tranquille…car la descente qui suivit (1500 m de D- sur 20 km), c’était du grand n’importe quoi : très technique et très dangereuse. Pas de risque de s’endormir dans de telles conditions.

Franchement là j’ai vraiment halluciné, entre les sauts de gros rochers à gros rochers, puis la partie sur une trace très étroite avec sur ta droite une paroi que tu peux toucher de la main et sur ta gauche le vide…c’était du grand n’importe quoi…Ha si on a eu le droit quelque fois à des mains courantes. Quand je plongeais le faisceau de ma frontale sur la gauche, il se perdait sans atteindre le fond…Ce n’est pas comme si c’était notre 4 ième nuit et que nos pas étaient potentiellement moins sûrs.

Plusieurs fois, je dis « mais c’est du grand n’importe quoi leur truc », « c’est des tarés », tout en me disant que Cécile aurait détesté ce passage.

Arrivé à un lac, la descente devint plus normale. J’avais du mal à suivre Vaness’ et devait accélérer régulièrement pour combler l’écart entre nous. Ce qui m’énervait d’autant plus que 2 ou 3 mecs nous doublaient en me déposant. Vanessa me parlait mais je ne comprenais rien à ce qu’elle me disait. En revanche j’entendais des bruits bizarres : tantôt des bruits de bâtons mais il n’y avait personnes, tantôt des bruits de cloches, d’animaux mais il n’y avait personne. Je ne connaissais pas, jusque-là, les hallucinations auditives.

Tout un coup alors qu’un mec s’est interposé entre Vanessa et moi, ma frontale s’arrête. Le temps que je change de frontale dans le noir, mes 2 compères se sont éloignés…et là (« je ne sais pas qu’elle mouche t’a piqué » me dira Vanessa), je me mets à repartir à fond en courant vraiment vite. Quel plaisir de se sentir capable d’aller à cette vitesse, de se sentir de nouveau vivant. Je les double rapidement et accélère. Je suis mort mais c’est super grisant. Une sorte de « baroud d’honneur » d’un mâle, qui se sent mal et est blessé dans son orgueil. Pas très intelligent car ça me finira les pieds et puisera encore plus dans mes quelques réserves restantes.

J’attend Vanessa au pied de la descente (pas longtemps) et nous finissons ensemble.

Nous arrivons exténués au ravitaillement où Cécile et MC nous attendent. Direction immédiate vers une grande tente pour dormir (45’) … une tente ou une 20aine de coureurs sont entassés, ou il fait hyper chaud (je m’y mettrai torse nu) et ou l’on dort sur des lits de camps collés.



A mon réveil, j’ai du mal à remettre mes chaussures. Mon pied droit a gonflé. Quand je marche j’ai l’impression de marcher sur un cousin douloureux à l’avant du pied et je sens aussi une vilaine ampoule sur l’extérieur du talon … ça ne m’empêchera pas de monter mais en descente cela ne va pas être simple. Ce n’est pas nouveau mais là ça a empiré d’un coup…

Bon, avant de repartir, on va se faire une nième raclette. Nous n’arrivons pas à nous réchauffer mais nos gentils accompagnateurs nous recouvrent de couverture de survie. Ca commence à tirer sérieux sur la bête.

Nous repartons. Une grosse montée avant le lever du soleil aux heures que je n’aime pas. Une montée très sèche (800 m de D+) dans la forêt. Vaness’ donne le rythme, je m’accroche. C’est dur. Vaness’ le sent, elle met de la musique et chante. Moi j’ « agonichante » aussi. On fait une petite pause pour se prendre un peu de sucré…et on repart. Je couine… J’essaie toutes les sources de motivation et sort même la carte « Guillaume » à ne sortir qu’en cas d’extrême urgence…

Nous montons bien. Mais à un moment, je suis complètement dans le dur, je m’arrête. Mon corps dit « stop ». Puis j’entends Vanessa hurler c’est bon on y est. Je fais quelques mètres et vois une piste sortie de nulle part avec un panneau « cabane de brunet : à 100m ». Il doit être 5h ou 5h30, je vais pouvoir y attendre le lever du jour et me « regonfler ».

A l’entrée dans la cabane, un sas minuscule est ouvert avec du café et du thé. Il y a 3 bancs avec 2 mecs qui dorment dessus. Moi je dis à Vanessa d’y aller mais que moi je vais dormir. Elle me dit « 20’ ? », je lui réponds « j’attends que le jour se lève ». Je me pose directement à même le sol en plein milieu et passe instantanément en mode « off ». 1 heure après j’ouvre les yeux. Vanessa dort sur un troisième banc entre la table et le mur. Les 2 mecs sont partis. Un 3eme coureur arrive (Pierre), le dernier coureur encore en course.

L’auberge (en fait la cabane est un refuge-auberge) ouvre. Un mec lève un store et prépare sa cuisine. Il nous dit bonjour comme si notre situation était normale. Des « clodos » montagnards étendus comme des merdes dans une entrée.

Vaness’ (qui est aussi coach dans son club de trail) me dit : cela ne te dirait pas de voir s’il peut nous faire à manger. La cuisine est encore fermée mais il nous propose un café, du pain, du beurre salé et de la confiture. Ayant de l’argent dans mon sac, je dis à mes acolytes « c’est bon les gars, je régale ... ça va nous faire du bien ».

Ce petit déjeuner m’a fait un bien fou … même si cela n’a pas été suffisant.

Au moment de régler, le mec me dit « mais non c’est bon, je vous l’offre. C’est quoi un morceau de pain et de la confiture. Pour moi ce n’est rien alors que pour vous c’est beaucoup, c’est même peut être ce qui va vous aider à aller au bout ».

Cela fait du bien d’entendre des paroles comme ça. Le monde n’est pas perdu 😊

Je briefe Pierre et Vaness’ sur l’état de mes pieds et leur dis que cela va être compliqué, que je vais essayer de me mettre dans le même état d’esprit que celui que j’avais eu sur le 160 km du GRP il y a quelques années avec mon ami Christophe mais que je voyais mal comment ca allait pouvoir passer dans les descentes vu les descentes et les km restants (130 km quand même avec 8000 de D+ et autant de D-, un gros ultra quoi !). Pour la deuxième fois je suggère à Vanessa qu’il serait sûrement plus intelligent qu’elle parte pour ne pas saborder sa course.

Certes nous avons encore beaucoup de temps par rapport à la prochaine barrière.

Pendant quelques kilomètres les petites montées s’enchainent avec les petites descentes. Dans les descentes j’essaie de poser mon pied droit sur l’avant du pied pour que le talon ne touche pas. Ca me décale complètement au niveau du genou et de la hanche…ce n’est pas jouable sur du long terme. 20km, 40 km pourquoi pas … mais pas 130.

Je ré-évoque à Pierre et à Vanessa la possibilité pour eux de partir à 2…que moi je verrais bien comment j’arrive à me « retaper ». Pierre me dit qu’une fois que nous serons arrivés au sommet (on va bientôt avoir 300 m de D+ pour arriver au Mont Brulé 2571 m) il partira en courant dans la descente pour ne pas perdre du temps… Il me rappelle que j’ai des compeed dans mon sac et qu’il serait plutôt judicieux que l’on soigne mon ampoule.

Opération podologie sur le bord du chemin. Pierre prend le lead. Il me fait valider le fait qu’il peut enlever mon pansement (« de toutes façons tu n’as rien à perdre ? ») et percer le machin. Il sort une aiguille, perce la bête à plusieurs endroits, appuie fort dessus pour que tout le pus parte, désinfecte avec la lingette et le désinfectant de Vanessa … puis met le compeed.

Merci Pierre. Pierre portait mon vieux sac fétiche Salomon rouge. Je lui ai dit que j’adorais ce sac, que c’était avec le même que j’avais fini mes grandes courses, mais que maintenant il était cassé. Et Pierre me répond « si je finis la course, je te le donne ». Il ne finira pas la course.

Youpi, c’est reparti !

Je retente une fois (et ce sera la bonne) : « bon écoute Vaness’, pour moi c’est simple. Je vais monter doucement et puis quand je serai au sommet j’essaierai d’aller vite en descente. Si ce n’est pas possible, c’est mort, si c’est possible je suis encore dans la partie. Il fait beau, je ne suis pas en danger. Il n’y a aucun intérêt pour toi à m’attendre. Tu mets ta course en risque. Si j’arrive à courir en descente, je te retrouverai au prochain ravito. Sinon… Moi je préfère que tu arrives à finir la course et porter un peu de nous à l’arrivée plutôt que l’on soit tous les 3, avec Cécile, hors course. Tu comprends ? »

Et elle me répond avec une voix toute étouffée « oui » et elle me dépasse. En me doublant, je vois qu’elle pleure.

Du coup, je fais une pause pour que l’écart se creuse tout de suite et qu’elle n’ait pas envie de m’attendre.

J’arrive à tenir le rythme de Pierre quelque temps puis, n’arrivant pas à me projeter dans les différentes descentes qui m’attendent sur les 130 km restants, mon esprit dit « stop » et mon corps revient à la charge pour se plaindre « hey mec, tu m’as fait quoi là, tu es un gros malade, tu as vu dans quel état je suis ? ».

A partir de cette prise de conscience, je suis devenu immédiatement un petit vieux et chaque pas est devenu un calvaire. J’ai mis une plombe pour atteindre le sommet que j’aurais atteint avec mes amis en moins de 30’. Quant à la descente, ce fut un long chemin de croix pour faire mon deuil de la course.

Je ne sais pas combien de temps j’ai mis pour parcourir les 300 m de dénivelé positifs restant, ce que je sais c’est que j’ai pleuré tout le long. C’était fini. Mon rêve s’envolait. Les nerfs craquaient complètement.

Arrivé au sommet, j’ai pris 2 ou 3 sandwichs au ravito. J’ai commandé une bière au refuge. La vue y était magnifique et j’ai demandé à ce que l’on rassure ma femme. Un bénévole m’a demandé si j’abandonnais. J’ai dit « non » que j’irai jusqu’au prochain point, quoiqu’il arrive et qu’on verrait bien à quel moment j’y arriverais. Il m’a passé son téléphone (le mien n’avait plus de batteries ou plutôt il s’était tellement mis en économie d’énergie que je n’arrivais plus à voir l’écran !). J’ai eu beaucoup de mal à parler à Cécile et à lui dire que c’était probablement fini pour moi.

Je suis reparti. Il y avait encore 100 mètres à monter pour atteindre un pic avant de redescendre.

Quand tu as perdu ton objectif, marcher n’a plus de sens et tu n’arrives plus à demander à ton corps à le faire. Je ne m’en rendais pas compte…mais c’était le mental qui tenait tout depuis le départ. A partir du moment, ou tu sais que ce n’est plus possible, tout l’édifice que tu t’es construit s’écroule et tu n’arrives plus à rien.

Quelle galère, je ne sais pas combien de temps il m’a fallu. A un moment seul sur le flanc d’une montagne j’ai réussi à avoir Cécile et à lui dire de venir me chercher à l’endroit le plus haut ou une route croise le chemin de la course car là j’étais à bout et je n’y arrivais plus.

A un moment je me suis écroulé et me suis instantanément endormi. Je me suis réveillé en plein cagnard. A un autre moment j’ai eu des hallucinations de jour et j’ai cru que Cécile était là mais c’était un arbre…

… et à un moment c’était vraiment elle avec MC.

Nous sommes tombés dans les bras les uns des autres.

Expérience de coureurs finis…


Elles ont dû monter par des routes forestières un peu étroites. Merci à elles 2. Elles ont failli « planter » la voiture mais elles sont arrivées à se sortir de cette salle affaire. Moi je comatais sur le côté de la route.

Alors la suite c’est une arrivée à la base de vie de Finhaut pour douche, repas…on ira même avec, Cécile et MC se faire une grosse coupe de glace. C’est le milieu d’après-midi. Puis elles me déposent à la salle pour dormir et me récupéreront le lendemain matin. J’ai dû faire 12 heures de sommeil quasi de suite.

D’ailleurs, alors que je me relevais tranquillement, quelle ne fut pas ma surprise de voir Sylvain et Jean David à cette base de vie. Ils abandonnaient eux aussi (sur le 170 km). Du coup, c’était sympa de prendre le temps de parler et de faire un bout de chemin avec eux. Ils repartaient rapidement pour prendre le train.

Au petit matin j’ai retrouvé la fine équipe qui avait « planté » le camp pas loin de la base de vie. Après un petit déjeuner vite englouti, il nous fallait repartir pour aller encourager Vaness’ qui était encore dans la course…

Nous la retrouvâmes au ravito de Barme au KM 296. J’appréhendais ces retrouvailles. Pas facile déjà de revoir les coureurs avec j’avais fait une partie de ma route.


Un mélange de joie, mais aussi de frustration et de tristesse profonde.

Vanessa arrivait. Cécile et Nadia partirent aux avant-postes. Moi je m’engageais doucement sur le chemin à sa rencontre… Ca y est je voyais Cécile et Nadia avec Vanessa. Ils se rapprochaient de moi.

Les retrouvailles avec Vanessa furent « émouvantes ». Nous nous étions quittés il y a plus de 24 heures. Nous nous prîmes dans les bras en pleurant tous les 2. J’ai dû lui dire un truc du style (« Bravo championne, continue comme ça, tu vas finir ») avec la voie complètement noyée par les sanglots.

Après ce n’est plus mon histoire, c’est celle de Vanessa qui a su ne rien lâcher et toujours rebondir même quand elle avait des coups de mou. Elle a réussi à faire 364 km, 26 000 de D+, 26 000 de D-. Moi je l’ai toujours trouvée « bien » (je n’étais pas au ravito de nuit), en tout cas vachement mieux que certains autres coureurs qui étaient vraiment très marqués. D’autres étaient super bien. Des forces de la nature.

Quand je dis qu’après ce n’est plus mon histoire, ce n’est pas tout à fait vrai, car, grâce à Vanessa, nous avons continué à vivre la course jusqu’au bout, vécu des moments très difficiles de coureurs, vécu l’arrivée et la remise des prix…même si ma pudeur et le sentiment de ne pas être à ma place m’empêchaient d’être complètement avec eux. Et pour cela forcément je la remercie.

Elle nous a aussi permis de démontrer que c’était possible. Extrêmement difficile, mais possible. Vanessa a été blessée durant sa préparation (deux entorses de la cheville à un mois d’intervalle) ce qui a largement freiné sa préparation. En juillet, elle n’a pas pu courir pendant ses vacances, et bien elle a fait du vélo. …et elle s’est fait une semaine de « trek » sur le GR10 début août où elle a fait 210 km.

Mais elle se connaît bien, elle est d’une constitution solide. Elle a un GROS mental et elle n’a jamais perdu la « petite lumière » dans les yeux qui fait avancer.

Je suis persuadé que Cécile a toutes les qualités pour finir ce type de course…il lui faut juste augmenter un peu sa vitesse de course (et pour moi ça passe par des séances de fractionnés en descente et en côte…avec un peu plus de mise sous tension) pour se dégager un peu de temps et pouvoir accéder à la seconde partie.


Quant à moi, il va quand même falloir que je le prenne ce dossard solidaire sur le Tor des Géants en capitalisant sur tout ce que j’ai appris… En plus il paraît que le Tor est plus facile que la Swisspeak.

Et qu’est ce j’ai appris :

- C’est faisable

- Je dois perdre du poids moins rapidement

- Avoir des frontales qui éclairent mieux (ça permet notamment de moins dormir la nuit)

- Arriver REPOSE

- Arriver sans avoir mal à la gorge car tousser comme un malade jour et nuit pendant la course ça use.

- Travailler de façon spécifique mentalement pour comprendre et avoir toutes les armes pour mieux lutter contre le point de bascule que j’ai connu le jeudi matin.

- Et surtout, travailler à un protocole précis sur les pieds : avant et pendant. Mes ampoules sont toujours au même endroit, il y a sûrement des choses à faire (chaussures, chaussettes, protection du pied).


En espérant vous avoir donner envie de participer, un jour, à ce type d’aventure.


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